À propos de
la représentation de 1888 |
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«L’année 1888 peut être marquée de deux dates qui marquent
aussi la fin d’une époque, chacune à sa façon : le 14 avril, la représentation
de «Sainte Tryphine et le roi Arthur» par les acteurs de Pluzunet à l’initiative
de Luzel pour marquer l’inauguration du nouveau théâtre de Morlaix est l’occasion
d’un véritable esclandre. Charles Le Goffic qui avait annoncé l’événement par
un grand article dans Le Monde Illustré conclut avec amertume, dans le numéro
du journal, à l’inutilité de raconter une représentation au cours de laquelle
les acteurs paysans ont été conspués par des petits bourgeois morlaisiens. Avec
la représentation de Sainte Tryphine par la troupe de Pluzunet, devant les acteurs
de la Comédie française, la mort du théâtre de langue bretonne est consacrée.
Non seulement on abandonne le vieux théâtre qui se trouvait, et se trouve encore,
place de la Grille, mais on le mure, comme pour l’oublier à jamais, derrière
des constructions qui le rendent invisible. Luzel qui a été présent au moment
où Morlaix pouvait être le haut lieu du théâtre de langue bretonne, qui nous
a laissé en fait l’essentiel de ce que l’on peut en savoir, a assisté aussi
à la disparition de ce théâtre. C’est Tanguy Malmanche qui, dans sa préface
à la Vie de Salaün, évoquant cette représentation en donne la meilleure
conclusion :
«Le théâtre breton fut du théâtre, pour des spectateurs qui n’étaient pas des
professeurs de littérature française. Cette communion intime entre la pièce,
les acteurs et les spectateurs ; cette combinaison qui est le secret du
chimiste, ce liant qui est le tour de main du maçon, cet on ne sait quoi, ce
rien et de tout, exista. Ces rôles copiés religieusement à la chandelle, par
les mains gourdes d’artisans et de laboureurs, d’autres laboureurs et d’autres
artisans les incarnèrent si absolument qu’ils les déclamaient encore sur leur
lit d’agonie. Ces pièces, les spectateurs les vivaient si intensément que dans
les moments dramatiques, certains s’évanouissaient… Traité en ci-devant par
la Révolution, saigné par les guerres de l’Empire, le théâtre breton apparaît,
à l’époque où commence la période moderne, c’est-à-dire vers 1830, comme un
vieillard usé et anémié, mais portant beau encore et n’ayant pas perdu tout
son prestige. Curieux avatar de ce campagnard endurci : il se fait citadin
sur ses vieux jours, et s’en vient habiter la ville de Morlaix. Sa situation
n’est pas brillante : il ne lui reste, pour toute fortune, que sa vieille
garde-robe passablement usée et déjà terriblement démodée… Or, tout être qui
n’évolue pas devient un monstre. Le théâtre breton n’avait pas évolué, ou plutôt
avait évolué à l’envers. De cela, les plus optimistes eux-mêmes durent se rendre
compte. Les acteurs de la Comédie-Française qui, le 14 avril 1888, vinrent inaugurer
à Morlaix le théâtre neuf, ont dû garder un souvenir ineffaçable du collège
inattendu que des organisateurs mieux organisés qu’inspirés avaient cru devoir
inscrire au programme à leurs côtés. Cette fois, la « curiosité »
n’eut aucun succès… Emboîté, sifflé, hué, expulsé de la salle comme un vulgaire
ivrogne du poulailler, le théâtre breton s’en allait crever à la voirie[1].»
Bibliographie
François-Marie Luzel
Journal de route, Presses universitaires de Rennes/Terre de Brume, 1994.
Les contes du boulanger, Presses universitaires de Rennes/Terre de Brume, 1994.
Françoise Morvan
François-Marie Luzel, biographie, Presses universitaires de Rennes /Terre
de Brume, 1999
Anatole Le Braz
Le Théâtre celtique in Magies de la Bretagne, Laffont, collection
bouquins, 1997
Gwénnolé Le Menn
Histoire du théâtre populaire breton XV ème – XIX ème, skol n° 79-80,
nov. 83
[1] Françoise Morvan François-Marie
Luzel, biographie
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